Le Chef de Projet urbain en Europe (3)
Une autre, une VRAIE, cette fois-ci *), responsable d'intervention urbaine au Portugal vient d'écrire:
"...Le gouvernement a gelé tous les budgets d' [action] communautaires ... dans les quartiers urbains à difficultés, en attendant une nouvelle Loi sur les interventions [dans le cadre du] Programme de Lisbonne. [...] Les habitants du quartier [X] de la Ville d' [Y] font la grève. Ils ne savent plus comment expliquer cela aux gens du quartier. Ils se sentent [...] trahis. Deux de mes collaborateurs vont partir: Ils cherchent un boulot plus stable. C'est le [...(mot que je ne comprends pas)] ici... Nous sommes sur le quartier depuis 4 ans. Les responsables de la ville sont très contents de notre travail. Il y a beaucoup de projets en route. [...] Les gens ont vraiment pris de risques et ils ont été ouverts à des compromissions difficiles à défendre devant les habitants..."
The Seven-Years' Itch
Notre travail est en manque de plusieurs choses.
L'émancipation des groupes défavorisés ne figure quasi jamais en tant que telle dans les programmes de rénovation urbaine.
Pourtant, c'est celle-là, et rien d'autre, qui est le vrai objectif de notre intervention. Une amélioration durable de la condition de vie des habitants das quartiers urbains à difficultés, passe nécessairement par l'émancipation. Qu'est-ce que c'est l'émancipation? C'est que les habitants, ou un groupe d'habitants, s'engagent sur un chemin qui les fait sortir de leur condition figée, sans perspectives, vers une participation nettement plus forte aux activités économiques, culturelles et sociales de la communauté environnante. Émancipation ne signifie pas qu'on renie ses racines: au contraire, les bagages de savoirs historiques, particuliers, seront exttrèmement utiles pour se créer des "niches" dans l'économie, pour obtenir une reconnaissance par la culture en pour se maintenir dans la lutte sociale. Nous parmons ici de processus qui prennent un temps à mesurer en années et qui sont chaque fois uniques, à cause des origines divergeantes et des conditions spécifiques posées par chaque environnement urbain.
Le respect des délais minimaux que nécessitent ces processus-ci, n'est pas non plus inscrit dans les programmes d'intervention. C'est pourquoi les autorités de tutelle croient, qu'on puisse interrompre ces processus-là à chaque moment, afin d'y ajouter (dans le meilleur des cas) de nouveaux objectifs. Et, dans le pire des cas, ce qui arrive, hélas, le plus souvent, on pense qu'il serait possible de recommencer à zéro et réengager les gens sur des autres objectifs.
Tout cela souffre également du fait, qu'il n'existent, dans le plupart des cas, pas de "bench marks" pour mesurer l'avancée de l'émancipation comme processus complexe, multisectoriel, qui sort des notions sectorielles de l'administration (et des sciences) et qui transgresse les limites des cloisons administratifs et scientifiques traditionnels.
Il n'y a donc pas moyen, dans l'administration, à balancer les pertes d'une rupture contre ce qu'il y aurait éventuellement à gagner avec une nouvelle approche. Pourtant, régulièrement, souvent après trois ou quatre ans, l'administration aura oublié ce qu'elle a mis en cause par son intervention sur le quartier et va déclarer qu'elle renonce aux objectifs originaux et qu'elle va s'en poser d'autres, plus modernes, plus efficaces, mieux subventionnables. C'est ce que j'appelle "the Seven-Years' Itch": le châtouillement qui envahit l'administration après quelques années et qui l'amène à détruire tout ce qui aurait éventuellement obtenu, en annonçant un renouveau brillant, plein d'espoir et qui sera complètement différent des politiques antérieures.
Les projets urbains que j'ai connus, ne sont que rarement échappés à cette effervescence administrative périodique. Parfois, les chefs de projets y ont survécu: Après une série de discussions au niveau politique, une reformulation du projet a permis de continuer le travail entamé. Les noms et les appellations avaient changé, les personnes et l'approche ont duré. Mais, dans la plupart ces cas, même si le personnel d'intervention et les grandes axes de son travail aient été sauvés, les cadres locaux, les personnes qui s'étaient engagées sur le quartier parmi leurs cohabitants, ont été perdues pour le projet. Découragement, sentiment d'avoir été trahi, enfin... Vous vous l'imaginez mieux que moi.
Les remèdes se situent au niveau de la contractualisation, soit-elle avec les responsables locaux ou avec des administrations super-locales. La contractualisation devrait comprendre (idéalement) une durée suffisante de l'intervention (au moins 5 à 7 années, mais plutôt 10), et/ou une convention sur l'évaluation des résultats qui se base sur des critères d'émancipation, ainsi que une liberté d'adaptation du caractère et de l'ampleur des interventions à entreprendre, selon ce qui résulte de la progression de l'analyse, de plus en plus commun, basé sur un dialogue avec les habitants.
De la part des Chefs de projet, il est essentiel, d'engager les responsables politiques et administratifs dans ces processus. Il ne faut pas se cacher et espérer qu'on nous laisse faire. Il est nécessaire d'immuniser ces gens-là, dans la mesure du possible, contre le châtouillement politique périodique à venir. Le niveau politique local, si engagé avec nous, a la possibilité, dans bien des cas, à protéger le projet contre les secousses de la politique nationale. A l'inverse, il s'avère aussi possible, à engager par exemple le niveau européen pour une plus grande stabilité. Les contrats de subvention européenne, s'ils sont bien ancrés dans les objectifs du projet, fournissent une protection bien efficace contre des velléités locales ou nationales, car ils comportent un cofinancement qui risquent d'être mis en danger par des trop brusques changements de course.
Dans votre cas, s'il est vrai que le projet n'a pas assez d'ancrages dans la politique locale, ni l'européenne, la meilleure tactique à adopter, c'est celle de l'hibernation: préserver autant que possible les réseaux et les cadres mis en place et formés, assurer une continuation des rémunérations des collaborateurs au projet en développer des activités temporaires afin de jeter un "pont" entre les deux phases d'engagement politique. Beaucoup d'habitants connaissent eux-mêmes de telles situations et ils seront solidaires.
*) J'avais voulu protéger l'identité de ma "Portugaise" des CdPU 1 et 2. Elle n'a pas apprécié. Je comprends. C'est une autre, d'un autre pays. Si elle veut, elle peut révéler son identité ici. En attendant, une autre collègue, cette fois-ci une vraie Ibérique, est intervenue, en croyant que ma "première" Portuguaise était un collègue à elle. Je m'excuse auprès de mes deux correspondants. J'espère que "la cause" commune primera...
26 janvier 2006
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
On ne peut pas négliger l'intérêt que les responsables politiques (locaux, régionaux ou nationaux) ont dans les projets que nous exécutons. S'ils ne comprennent pas toujours, ce n'est pas nécessairement leur faute. C'est vrai que la gestion de la participation, la lutte quotidienne avec les services qui ont leurs agendas à eux, que cela prend beaucoup de temps et d'énergie. L'intervention des 'politiques' est souvent ressentie comme une charge superflue et non-nécessaire. Mais il nous faut leur engagement, leur compréhension pour pouvoir persévérer...
RépondreSupprimer