25 février 2007

La bombe iranienne: Et si M. Chirac avait raison?

L'Iran est entouré de pouvoirs nucléaires: La Russie, la Turquie (moyennant des garanties de l'OTAN et celles qui ont été convenues après la crise des fusées soviétiques au Cuba en 1961), Israel, l'Arabie Séoudite (qui est, selon toute probabilité, co-propriétaire de la bombe pakistanaise) et Pakistan. Et, pour couronner tout cela, la flotte de guerre américaine dans le Golfe dispose également d'armes nucléaires.

Comme le président Chirac a déclaré, il y a quelques semaines, dans une interview avec la presse américaine et brittanique, un nombre limité d'armes nucléaires iraniennes n'aurait pas pour effet que le danger de guerre au Moyen-Orient (limitrophe de l'Europe) augmente, mais, au contraire, qu'il soit diminué.
Cela semble paradoxal. Mais un article dans le blog très sérieux et recommendable 'A Fistful Of Euros' [EN] est venu expliquer le raisonnement tout à fait valable qu'on peut supposer derrière cette position étonnante et fort déroutante du président français. J'ai enchaîné mes réflexions dans: At Home in Europe: Week 5: Chirac on Iran, etc.
La circonstance, que M. Chirac ait fait 'amende honorable' le lendemain, ne change rien: C'est plutôt une confirmation - en tant que petit pouvoir nucléaire, la France ne peut pas se permettre de diverger par trop de la position de la communauté internationale, même si elle ne soit pas d'accord avec elle, justement parce que la France n'est pas un pays quelconque, mais un pouvoir (mineur) nucléaire avec les responsabilités et les dangers que cela comporte.

Et c'est à cela que Chirac faisait allusion: Un Iran possédant la bombe nucléaire et les moyens de la délivrer, se trouverait dans une position de responsabilité accrue: l'emploi de son arme entraînerait inévitablement une contre-attaque nucléaire de la part d'un ou de plusieurs de ses voisins ou presque-voisins qui en ont la capacité. Il s'établirait un équilibre de la 'terreur nucléaire mutuelle', situation que nous connaissons de l'époque de la guerre froide. Et qui, paradoxalement, a garanti une situation d'absence de guerre mondiale (malgré les conflits régionaux et meurtrières de guerre classique qu'a connus cette époque: Algérie, Vietnam, Irak-Iran, etc.).

Ce n'est pas la situation que je préfère, bien sûr. À mon avis, l'on aurait dû utiliser la brève période ('window of opportunity') juste après la disparition de l'Union Soviétique, à réaliser le désarmement nucléaire prévu dans une série d'accords entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis, entérinée par les Nations-Unies, à imposer ce désarmement à tous les pouvoirs nucléaires existants, comme l'on l'a fait alors avec l'Afrique du Sud, armée nucléairement par Israel au temps de l'Apartheid.

Mais il n'a pas été ainsi. L'accession de l'Inde et du Pakistan au statut de pouvoir nucléaire a été accepté. Ce dernier est d'ailleurs un exemple de la proposition chiraquienne: le nouvel équilibre de garantie mutuelle de destruction entre les deux pays séparés par une profonde haine historique, a entraîné une notable détente entre eux, et même la reprise de relations économiques, culturelles et stratégiques (pipeline de gaz et de pétrole de l'Iran à l'Inde, passant par le Pakistan).

À mon avis, étant donné la perdurance de la tolérance envers Israel quant à ses capacités nucléaires, depuis lors, il est devenu quasi impossible d'endiguer la prolifération des armes nucléaires dans le monde. Il a fallu s'habituer à un complexe d'équilibres nucléaires à différents niveaux. Et il semble, que ces équilibres fonctionnent à peu près de la même façon que l'ancien 'grand' équilibre dual de l'époque de la guerre froide. C'est à dire: qu'ils responsabilisent, qu'ils rassurent et qu'ils permettent des progrès dans la détente.

Touchons également un peu aux aspects de géopolitique mondiale. Finalement, il semble que les USA aient compris qu'une Corée du Nord nucléaire soit préférable à un pays isolé, faible et invitant, sui generis, la convoitise de ses voisins. La bombe nord-coréenne aide à stabiliser la région et elle aura pour effet de frustrer notamment les ambitions chinoises (et japonaises). C'est ainsi que j'interprète la percée inattendue et récente dans les négociations USA/Corée-du-Nord. Probablement, les Américains ont enfin compris, qu'ils étaient en train de s'engager dans un 'sale boulot' dans l'intérêt de la Chine et de la Russie, enfin, beaucoup plus dans l'intérêt des ces derniers que dans le leur. Les remarques de Cheney, relativisant le pré-accord intervenu, ne sont, en toute évidence, que les reflets de sa déception et de son isolement accru dans le cadre de l'administration américaine.

Par rapport à l'Iran, j'ai maintenant un bon conseil à transmettre aux USA:

Un Iran nucléaire serait nettement plus responsable, moins frustré, qu'un pays fier, incontournable, mais non-nucléaire, menacé par des frappes israéliennes. Des conditions de paix négociées pourraient renforcer cet effet-là. En plus, les ambitions russes dans le Caucase et dans l'Asie centrale, seraient davantage frustrées. La répression de la population chiite de l'Afghanistan, oeuvre des Taliban appuyés (ou tolérés) en cachette par le Pakistan et qui est source de beaucoup d'instabilité, deviendrait moins lourde. D'ailleurs, l'infiltration des Taliban, impossible à stopper, même avec les double des troupes de l'OTAN engagées en ce moment en Afghanistan, diminuerait.

La seule victime que je vois émerger d'une telle tolérance de la bombe iranienne, serait ... l'IRAK. Ce pays, vainqueur virtuel il ya pas 20 ans dans une guerre 'classique' contre son ennemi séculaire perse, serait intolérablement affaibli par rapport à lui.

La seule manière à surmonter ce nouveau déséquilibre dangereux, serait le développement d'une capacité limitée nucléaire irakienne. Ce serait un beau cadeau d'adieu des Américains au pays occupé par eux avec les motifs qu'on connaît!

Mais, bien que l'ironie de l'Histoire récèle probablement des retours plus fantastiques que celle-ci, je me décide à m'arrêter à ce point.

(Le texte précédent est une version élaborée de mon commentaire sur un Blogpost de BigBerta sur l'Iran nucléaire [DE] du 25 février 2007.)

19 février 2007

Beirouth: Suite - Les spectateurs

Voici: Beirouth comme elle était, juste après les bombardements israéliens.
Dans la note précédente, nous mentionnions le sens de responsabilité civique exceptionnel des Libanais, malheureusement terni par une attaque meurtrière d'il y a trois jours. Mais c'est un incident. Inévitable, dans les conditions qui existent.
La ligne générale reste d'actualité: malgré leurs différences, les Libanais restent unis.
Voici la photo gagnante d'ue prestigieuse prix mondiale:
(Reproduite de la page 3 du journal 'De Morgen', Bruxelles, du 17.2.07)

Tout le monde a cru qu'elle représente une sorte de curiosité malsaine ('tourisme du désastre') de la part de la scène huppée de Beyrouth.
Mais non: Le quotidien belge flamand 'De Morgen' du samedi 17 février dernier interviewe les personnes dans la voiture. Elles disent: "Une photo intéressante. Dommage qu'elle est à côté..."
Les occupants de la voiture sont des jeunes, il est vrai, pour la plupart chrétiens, qui habitent, eux aussi, le sud de la ville de Beyrouth, dans une enclave chrétienne. Leur voiture est une Cooper Mini, orange, leur prêtée par une amie, donc non pas une voiture de 'luxe'...
Les occupants de la voiture, interviewés par le correspondant du 'Morgen' chez eux, protestent: "Ce que cette photo dit, c'est que les Chrétiens sont tous contre l'Hezbollah. Mais c'est absolument pas vrai".
Deux d'entre eux, ont activement milité pour les victimes des bombardements, en cherchant des fonds, en distribuant des victuailles. En fait, ils étaient venus, pour voir, si leurs appartements à eux tenaient toujours debout! Ils avaient logé, dans leurs propres appartements, les réfugiés shiites des voisinages du Sud, en se serrant dans les appartements un peu moins risqués de leurs parents ou de leurs amis.
"Pourquoi on nous reproche d'être glamoureux?", se demande El Khalil, le fiancé d'une des filles photographiées dans la voiture, "Je m'excuse, mais nous sommes des Libanais et nous tenons à être au top de la mode. C'est comme ça chez nous."
Et son ami Bissan Maroun ajoute: "Nous n'étions pas du tout en train de nous amuser: Regarde nos regards - nous sommes ébranlés de voir les destructions dans notre quartier!"
Le photographe, contacté à New-York par le journal 'De Morgen' ne fait que confirmer les dires des jeunes: Spencer Platt: "Je suis un photographe des agences de presse. Je ne cherche pas à obtenir des prix. Je n'ai pas eu l'intention de juger le comportement des gens. Je n'avais aucune idée, qui c'étaient, les occupants de la voiture. Je n'ai pas eu l'intention de produire un propos politique."

Au lieu de mettre les activistes du Hezbollah dans un coin, cette photo, en fait, montre la solidarité, la communauté non-brisée des Libanais, tous victimes d'une intention malsaine et ratée. Bravo, 'De Morgen', d'avoir mis cela sur le tapis!
Et, nos amis américains, réfléchissez deux fois, s'il vous plaît, avant d'entamer encore un essai à monter les uns contre les autres au Liban! Ils ont compris. Ils ne se laissent pas avoir, ni par les Syriens, ni par les Français, ni par les Israéliens, ni par les Saoudiens, ni par les Iraniens, ni par vous!

13 février 2007

Le Liban: Unité fragile, mais qui tient

Les revenants de la guerre civile, les Geagea, les Aoun, les Jumblatt, les Berri, les Gemayel - ou leurs fils et leurs petit-fils (peu de filles) - ils sont tous là.
Encore. Ou à nouveau.
Mais il semble qu'il y a une seule grande leçon que tous ont apprise: Unité.
Il est significatif que les ouailles shiites de l'Hizbollah, dans leur lutte pour une reconstruction du gouvernement libanais en leur faveur, ne sont pas allés plus loin qu'une grève générale - moyen de lutte démocratique et pacifique. Remarquable, pour un mouvement qui sait utiliser ses armes de guerre.

Pourtant...
Pourtant, il y en a eu pas mal de non-libanais (et non plus les moindres) qui comptaient avec une reprise de la lutte interne libanaise: les Américains, les Français, les Israeliens...
Mais malgré tout, malgré le meurtre de l'ex-président Hariri, malgré les provocations israéliennes ciblées à inciter des réprésailles contre le Hizbollah, malgré les promesses françaises et américaines - même sous le siège des Hizbollahs, la minorité maronite qui domine encore toujours le pays et qui est propriétaire de la présidence et de la fonction du prmier ministre, n'a pas vraiment fléchi.

Indépendance...
Siniora, à son honneur, a refusé de recevoir la ministre Rice à Beirouth sous les bombes israéliennes. Il a refusé avec éclat les négotiations de paix proposées par Israel en septembre et le Liban s'est tourné vers la Cour Internationale des Nations Unies de La Haye pour exiger des réparations israéliennes des dégâts des actions démesurées de juillet-août. L'intervention de l'armée libanaise, exigée par la communauté internationale, dont certains espéraient in petto le déclenchement d'une guerre interne avec l'Hizbollah, n'a pas du tout eu cet effet-là. Les soldats (majoritairement non-shiites) sont reçus dignement par la population et, de leur côté, ils s'abstiennent complètement d'actes de vengeance ou d'affaiblissement contre le Hizbollah.

Des conditions divisives...
En attendant, les centaines de millions d'euros d'aide promises au Liban à Paris, le mois dernier, ne seront pas très promptes à arriver à destination. Il est à craindre, que les Etats créditeurs poseront des conditions politiques, divisives, à leurs versements. Là aussi, les Libanais sauront répondre effectivement: L'alternative existante des versements iraniens et, si la mission de Moussa se solde par une réussite, des pays riches arabes les fera reculer devant une contrainte trop poussée...
[Titre de l'Independent londonien: "La relation avec les USA c'est ce qui nous ouvre toutes les portes partout" - citation du PM Tony Blair. Réfutée par l'expérience libanaise. Voir, à la place de cette image, l'image gagnante de World Press International, la photo de Spencer Platt, Getty Images, USA, gagnante du Prix WPP 2006, ici. L'image étant interdite de réproduction, nous vous reléguons au site de WPI.]

Pour moi, le maintien d'une unité de base entre libanais, malgré leurs divisions culturelles, politiques, sociales et religieuses profondes, relève d'une conscience populaire mûre et sage. Une conscience qui semble être partagée par tous: Les anciens chefs de clan et de milice aussi bien que les pauvres illettrés de Sud. C'est une merveille, pleine d'espoir. Les intrigues internationales ne dominent donc pas le destin des peuples. Finalement, je veux dire.

Des touristes de désastre bien particuliers...
Symbole de cette incroyable unité entre gens aussi différents, c'est pour moi la photo des BCBG typiquement beirouthiens, dans leur décapotable, faisant le tour des quartiers shiites sinistrés du Sud de la ville, après l'armistice du mi-août. Mouchoir protège les nez, les yeux horrifiés, les ruines fumantes et puantes autour. Et non, les habitants des taudis ne les ont pas chassés, malgré leur richesse quasi indécente. Et non, les jeunes riches n'ont pas senti aucune satisfaction en voyant le sort de leurs voisins pauvres.

L'Europe...
C'est une bonne surprise. L'Europe ferait une bonne chose, si elle se reconnaîtrait dans cette unité dans la diversité-là et si elle agissait en fonction d'une telle reconnaissance. Ce sera un exemple pour les Serbes et les Kosovars, pour les Turcs et les Kurdes, pour les Castillans et les Basques. L'Europe, ayant tellement d'intérêt à maintenir la paix et la prospérité à ses portes de l'Est, elle devrait adopter le Liban, lui donner un statut de préférence, et en finir avec les ingérences nostalgiques et short-sighted (à traduire) françaises. Il y a lieu pour une geste ample, indépendante et généreuse de l'Europe entière, unie, vers cet extraordinaire pays du Liban.
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