12 janvier 2008

Et si les Bruxellois créaient leur Communauté à eux?

Une journée bruxelloise parmi toutes les autres.
Les observations d'un observateur étranger, engagé avec son nouveau pays et avec sa ville, Bruxelles.
Pardonnez-moi mon intrusion, chers hôtes. Mon intervention n'est pas née de la conviction que vous ne sauriez pas résoudre tout seuls vos grands problèmes.
Au contraire: Je sais d'avance que les solutions magiques et surréalistes que vous allez produire dépasseront toute imagination.

Mais je partage avec mes concitoyens bruxellois qui m'ont donné le droit de vote aux élections communales, un souci grandissant en ce qui concerne la position de la Région bruxelloise. Bruxelles est en train de devenir l'orpheline de la Belgique (voir l'article "Belgique surréaliste..." dans Toto Le Psycho).

J'ai lu un livre et j'ai lu les journaux de ce vendredi. Voici ce que je pense:

Bruxelles absente de la table des négociations qui décident de son sort
Les deux régions et communautés territoriales et linguistiques se comportent comme deux parents en train de structurer un arrangement d'incompatibilité mutuelle, sans compter les effets sur les voisins, les enfants, les animaux domestiques et leur(s) budget(s). Bruxelles, l'enfant qui porte en elle l'union de chacune de leurs trésors de chromosomes, est adulte. La loi exige qu'elle ait sa place à la table des négotiations du divorce qui ne doit pas être appelé ainsi.

Mais elle en est absente. Ce qui est peut-être pire: Elle n'a pas de projet concret. Il n'y a aucune mobilisation de ses citoyens. Mais je me trompe: Il y en a eu une impressionnante. L'apparition de milliers de drapaux nationaux belges, noir-jaune-rouge, aux façades des maisons et des appartements bourgeois pendant les mois de la crise des négociations gouvernementaux. Une protestation bien belge, tranquille, paisible et digne. Mais elle a une faiblesse décisive: Le drapeau national est symbole d'une "Belgique de Papa" qui n'a jamais existé. Il ne faudrait pas une nostalgie pour la vieille Belgique, mais un projet pour un pays membre de l'Union Européenne du XXIme siècle.

L'enjeu et les atouts
Il n'en est pas question. Même pas d'un projet uniquement pour l'agglomération de Bruxelles, 1,2 million d'habitants (sur les 10 de la Belgique), génératrice de 20% du PIB, dotée d'une renommée mondiale et capitale de beaucoup d'institutions internationales, l'Union Européenne la première. Son rayonnement économique et culturelle est dense dans une périmètre de cent kilomètres, mais s'impose aussi loin que Liège, Maestricht, Gand, Lille, Valenciennes et Luxembourg. Ni la Région wallonne, ni celle des Flandres ne saurait l'incorporer au moment fatal d'une véritable divorce. Mais demande une fois aux époux, au moment d'une divorce à l'inamiable, d'agir rationnellement!

Rudy Aernout,
le hyperactif bilingue bruxellois, qui vient de se faire virer de son poste auprès du gouvernement de la Région flamande pour cause d'insoumission, appelle notre ville "l'enfant mal-aimé de la Belgique". Dans un livre-manifeste qui porte ce titre-là, paru il y a peu, l'économiste et expert de la communication s'adresse aux régions territoriales et les communautés "personnelles" (linguistiques), comme si elles suivaient des raisonnements rationnels, guidés par leurs intérêts économiques, comme les consommateurs (les clients) qui s'approvisionnent dans un marché capitaliste idéal: transparent, régularisé par les forces aveugles de la concurrence et de la maximalisation des profits.

Critique rationnelle et impitoyable des méandres surréalistes belges
Le livre est admirable, à la mesure qu'il dit aux Belges les quatre vérités qu'ils ne veulent pas entendre. S'appuyant sur des chiffres et des statistiques incontestables, Aernout démontre, que les "transferts" financiers à la Wallonie et à Bruxelles, dont beaucoup de Flamands s'excitent, sont plutôt d'ordre marginale par rapport aux Produits intérieurs bruts régionaux (PIBR). Et d'ailleurs, des transferts pareils existent et s'augmentent continuellement dans l'Union Européenne entre les régions riches et pauvres par la voie des dizaines de milliards annuels des subsides agricoles et "de convergence". L'effet net d'une théorique division de la Belgique en deux États-membres de l'UE, serait uniquement que la Flandre, plus riche, devrait réaliser ses tranferts vers la Wallonie, quasi entièrement région de classe 2 selon les critères de Fonds de Convergence européens, non plus via l'État fédéral belge, mais par la voie de ses contributions européens augmentées à l'Europe. "Comptez vos bénéfices"!

Les impôts bruxellois sur la personne rapportent beaucoup moins que
ceux des Flandres, mais les impôts sur la consommation et sur les entreprises
surcompenseraient cette manque. Ces derniers arrivent en ce moment dans les caisses de l'État fédéral et sont
en grande partie redistribués aux régions. Si les 360.000 Flamands et Wallons qui viennent chaque jour travailler à Bruxelles, seraient imposés sur leurs revenus gagnés à Bruxelles, la situation deviendrait encore plus dramatique pour les deux grandes régions.

... mais solutions timides
Les propositions formulées par Aernout sont, sur le fond du drame dont il développe les vastes contours, assez timides. Économiste plutôt de l'école de Chicago, il est en faveur d'une limitation rigoureuse du rôle de l'État dans la sécurité sociale, de l'habitation et de la santé. Ses excursions théoriques fréquentes à ce sujet dans "L'enfant mal-aimée", rappellent désagréablement les élucubrations superficielles de Thomas Friedman dans "Le Monde est Plat", livre qu'il cite avec appréciation.

Au fond, ce qu'il projette, c'est la création d'une marché artificielle, où régions, villes, communautés, et nouvelles créations dans ce genre, comme les communautés urbaines, négocient des contrats entre eux, qui devraient permettre l'échange de subsides avec conditions "énergisantes" et dynamisantes, ainsi que punitions pour non-réalisation des objectifs convenus. Le tout, il est vrai, supervisé par un État fédéral qui pose des limites et des règles de conduite.

"Ende gij geleuft dat?"
Un État central, dépouillé de son budget, régi par un parlement composé d'élus qui sont eux-mêmes quasi toujours parti-prenants dans ces arrangements locaux? Quelle différence avec les intercommunales qui existent depuis longtemps déjà, et qui sont une source permanente d'intransparence, de magouilles et pas rarement de corruption? Une multiplication de bureaucraties qui s'occupent de luttes entre elles? Un paradis pour les Van Caus!

L'auteur de cet article-ci a vécu de près ce système de "convenants" entre autorités (et le secteur privé, chose qu'Aernout prévoit aussi) dans son pays d'origine, quand il s'est occupé de la régénération urbaine aux Pays-Bas. Des centaines de millions disparaissent on ne sait pas où, et c'est seulement grâce à des "entrepreneurs sociaux" dans les quarties urbains en détresse dont il s'agissait, qu'ici et là cette politique a connu des succès locaux remarquables. Il n'y a qu'en Grande-Bretagne et en France, où l'État sait encore s'imposer, qu'une telle approche dégénère en moindre mesure.

Transformer les élus en entrepreneurs? - Impraticable et dangereux.
La création de "marchés" artificielles comme terrains de jeu pour des coalitions de caractère divergent de responsables qui ne répondent qu'aux intérêts locaux, temporaires, sinon personnels, ne déclenche pas les forces magiques de "la Main Invisible" qui est censée d'amener une distribution juste et un dynamisme chaque fois renouvelé. Il est vrai, à court terme une telle approche pourrait aider à désenclaver un peu Bruxelles. Sa situation est tellement coincée que chaque chose qui bouge ne puisse que résulter en diminution du surréalisme de sa situation. Mais à quel prix? Destruction de la solidarité interpersonnelle (sécurité sociale, etc.), affaiblissement de la démocratie et les pouvoirs budgettaires des élus. À plus long terme, ces médicaments vont empirer la maladie.

Pour une transparence accrue et pour la réinvention amoureuse de l'État, même si elle n'est qu'une Région
La solution idéale serait, je pense, la "réinvention du gouvernement" en Belgique. Structures nettes, distribution transparente des responsabilités aux niveaux différents de gestion. Mais la Belgique me semble un des derniers pays en Europe, où l'on saurait réaliser une telle chose tout seul. Mais une intervention européenne, une qui se dessine déjà un peu à travers le questionnement sur les bourgmestres non-reconnus et sur la non-signature par la Belgique du traité sur les droits des minorités, pourra aider, dans un futur encore inconnu.

Désenclavement de Bruxelles
Limitons nous alors à Bruxelles. La nécessité d'un élargissement du territoire de la Région bruxelloise est tellement évidente, qu'une action résolue et portée par une grande majorité des habitants des conscriptions concernées a pas mal de chances à réussir. Il faut d'abord une concertation bruxelloise, multilingue et portée par les entreprises ainsi que les organisations privées pour qu'elle réussisse. La clé ne se trouve pas à Namur ou dans les couloirs du gouvernement flamand, mais à Bruxelles elle-même.

Créer une Communauté non-linguistique de Grand-Bruxelles
Puisque le système impraticable des régions territoriaux et des communautés interpersonnelles semble intouchable, créons une Communauté bi-, ou mieux multi-, lingue bruxelloise qui couvre tout le territoire. Les dirigeants FDF ne seront pas contents, car cela fait reculer à jamais leur illusion dd'une francophonie triomphante. Les Flamands craindront la suppression de leurs droits garantis par la Loi. LES Flamands? Non, je parie qu'une majorité des néerlandophones bruxellois préfère aller écouter un concert, adhérer à une mutuelle d'assurance-maladie qui n'est pas régie par le jeu derrière les coulisses d'une Commission de Coordination dont ils n'ont jamais connu les noms ni leurs positions. Pour ne pas parler de la Commission de Coordination entre les deux Coordinations! Des ministres responsables, élus, controlés, sont préférables de loin.

... et commencer à le faire soi-même
J'ai dit "créer", non pas "demander", pas demander aux sages d'Octopus. C'est quelque chose comme les drapeaux: on a le droit d'exhiber ce symbole de son pays. Mais c'est en même temps incivique, car allant à l'encontre des positions des représentants des partis majoritaires. Les Bruxellois n'ont pas respecté ce que ces personnes-là considèrent comme le message des élections générales récentes. Je propose néanmoins, d'aller un peu plus loin, de réaliser un fait accompli qui est un projet et non pas une nostalgie. Organisons les élections pour une nouvelle Communauté bruxelloise non-linguistique, on peut le faire soi-même. Car qu'est-ce que c'est, une communauté obligatoire, dans laquelle on est né et qu'on ne peut pas échanger pour une autre? Qui interdit des partis politiques bilingues? Ce n'est pas ma communauté. L'essentiel d'une communauté, c'est qu'elle soit commune. Des communautés dirigées de loin de chez moi et qui divisent au lieu de rapprocher les membres de ma communauté réelle, celle de tous les jours, où mon boucher parle avec moi en Néerlandais, mes collègues en Anglais ou en Allemand et mes copains au bistrot l'incomparable Français des bruxellaires, des Communautés et qui ne communiquent pas avec moi, qu'est que c'est d'autre que le contraire d'une communauté?

Bon, je me suis laisser aller un peu, mes compatriotes.
J'apporte ma contribution amstellodamoise et rebelle dans vos débats.
Mais personne ne pourra dire que je n'ai pas été constructif. Plus constructif, de toute façon, que celui qui a osé accuser certains journalistes de son pays à se comporter comme les génocideurs de la Radio Mille Collines.

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