03 octobre 2006

Arménie-Turquie: M. Chirac a raté une belle occasion à se taire...

Le président français a jugé samedi à Erevan que la Turquie devait reconnaître le génocide arménien avant de pouvoir adhérer à l'Union européenne. (Le Figaro, Paris, 30 septembre 2006)
De quoi se mêle-t-il?
Président d'un pays
  • qui a lui-même perpétré nombre de génocides, pas plus tard que le vingtième siècle, et qui n'ont jamais été "reconnus",
  • non, dont le parlement a même voulu juger, en 2005, qu'elles "avaient contribué au bien-être des populations" ciblés par le colonialisme français,
  • d'un pays qui se fout de la République arménienne, pourvu qu'elle ne rende pas difficile l'accès français au pétrole de Bakou en se maîtrisant du Nagorno-Karabakh azerbaidjanais?
Le même Chirac qui voulait interdire aux pays comme la Pologne d'avoir leur propre idée (erronée) sur l'intérêt de l'Europe à joindre les États-Unis en Irak?
"Ils ont raté une bonne occasion à se taire!", dit-il, en avril 2002.
Ainsi, le président français surestimait, encore une fois, la place de la France en Europe et dans le monde. C'est dangereux, tout ça. Pour les Français d'abord. Pour nous tous, ensuite. Le Figaro continue:
En visite en Arménie, Jacques Chirac a déclaré que la Turquie doit reconnaître le génocide arménien si elle veut entrer dans l'Union européenne. Jusqu'à présent, la France s'est toujours refusée à établir un lien direct entre la question du génocide arménien et celle de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, les Européens n'ayant pas fait de la reconnaissance du génocide arménien de 1915 une condition de l'adhésion de ce pays à l'UE.
La Turquie, depuis trois ans gouvernée par un gouvernement islamique modéré,
  • bien ancrée depuis les années vingt du XXme siècle dans une constitution qui garantit un État laïque,
  • qui fait des pas géants vers une modernisation économique, sociale, culturelle
  • qui la fait dépasser en richesse, en protection sociale et en liberté civique des pays accédants à l'UE comme la Bulgarie et la Roumanie -
ce pays-là doit être humilié, déstabilisé, rien que pour des raisons purement intérieures de la politique française? C'est dégoûtant. Chirac:
« Peut-on dire que l'Allemagne, qui a profondément reconnu la Shoah a pour autant perdu son crédit ?», s'est demandé le chef de l'Etat français. « Elle s'est grandie », a-t-il répondu.
Naturellement, l'holocauste arménien, le nettoyage ethnique d'une population établie depuis presque deux mille ans au milieu de l'Asie mineure, en Anatolie, doit être commémoré, condamné et, si encore possible, expugné.
Mais est-ce qu'il y a encore un seul survivant de l'administration, de la police, de l'armée ottomanes qui puisse être cité devant la Cour de La Haye?
Et, pour être équitable, est-ce qu'il y a encore un seul représentant de l'administration du Tsar russe qui a abusé des Arméniens contre les Turcs à l'époque 1911-1915?
Et, plus au sujet encore, est-ce qu'il y a encore des administrateurs et politiques grecs de l'époque qui ont nettoyé ethniquement les régions et les îles habitées par des Turcs en les envoyant aux villages arméniens abandonnés en 1918?
Est-ce qu'on puisse encore appeler le Aristide Briand à se défendre contre l'abandon des grecs, des turcs, des arméniens à l'occasion des traités de Versailles (1919/20) et de Locarno (1922)?

Même en considérant, que la République turque actuelle ne peut pas être tenue responsable pour ce qui se passa en 1915, aussi peu que la République française actuelle ne soit responsable pour les méfaits de celle de Vichy en '40-'44, il aurait fallu reconnaître le progrès considérable qui le gouvernement actuel turc a fait au plan du respect des droits humains, du renforcement de la démocratie.

M. Chirac a mal servi l'intérêt français (économique, politique, sécuritaire). Pour ne pas parler de l'intérêt européen.

Mon pronostic: La décision du parlement français à rendre punissable "la négation du génocide arménien", ne sera pas retenue par le Conseil d'État français, aussi peu que sa décision sur une obligation de l'enseignement à commémorer les "bienfaits" de la colonisation française en Afrique du Nord.
Ce n'est pas le rôle de parlements ou de présidents à statuer sur l'interprétation de l'histoire. Comme le nouveau Prix Nobel Pamuk a (lui-même cible d'une action rétrograde juridique au sujet de l'interprétation de l'histoire de l'holocauste arménien) a dit: L'important, c'est la liberté d'en discuter, d'en parler, d'en dialoguer.

Si l'on veuille trouver un bâton historique à frapper le chien ou le bouc émissaire, on en trouvera toujours.
Mais cela ne nous avance jamais.

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