(Borissov, futur premier ministre de la Bulgarie, le 9 juillet 2009: programme de soutien aux procureurs de la république "mani pulite", investissements et coopération dans le cadre de l'UE ... [Photo: Sofia Echo, Krassimir Yuskesseliev])Ce résultat était prévisible depuis les élections au parlement européen du mois dernier. Avec un taux de participation relativement très élevé, et malgré l'achat local de votes par certains représentants de la majorité sortante, malgré le "tourisme électoral" et malgré le vote ethnique de la minorité turque, pour la troisième fois en vingt ans, les élections nationales ont chassé du pouvoir une classe de dirigeants qui semblait inamovible.
En 1990, la gérontocratie autour du leader communiste historique Todor Zhivkov a été remplacée par un version "light" de l'ancienne élite politique, réunie dans le Parti Socialiste Bulgare (BSP). Onze années plus tard, marquées de crises économiques, développements mafieux et émigration massive vers l'Occident, l'ancien roi éphémère Simeon a été porté par l'électorat à la présidence du conseil des ministres (2001). Mais il a vite déçu. Le BSP a pu organiser à nouveau une majorité. Majorité qui a été battue le 5 juillet dernier.
Quelles sont les perspectives de cette troisième "révolution électorale" des Bulgares?
À l'aune de ces limites-là, j'ai quatre observations à partager avec vous:
- L'étonnante résilience de l'identité bulgare,
- le poids écrasant des années de plomb staliniennes et poststaliniennes,
- les atouts stratégiques et économiques du pays,
- et comment l'Union Européenne pourrait intervenir au profit d'elle-même et celui des Bulgares.
Vers l'an 1940, il existait donc bien une entité nationale, économique et culturelle bulgare enfermée de quatre côtés sur la presqu'île d'Adrianople. Les accords de Yalta de 1944 en faisaient un État satellite de l'Union Soviétique.
2. Les années de plomb
Est-il possible qu'une culture qui a su survivre à cinq siècles de domination et de répression ottomanes serait éliminée par cinq décades de chape de plomb staliniennes? Si je regarde la télé bulgare, et que je dois supporter l'offense permanent au bon goût d'un chanteur comme Aziz, j'ai tendance à lui donner raison.
Et, pourtant, je vois aussi les missions culturelles anglaises, françaises et allemandes, établies depuis longtemps dans le pays. Les lycées françaises qui ont survécu pendant l'asservissement soviétique, un peu partout dans le pays. J'en retire la conclusion, que une des idées maîtresses du nouveau mouvement de Borissov, c.à.d. s'intégrer dans la nouvelle Europe, a quelques chances à faire revivre l'élan de la Renaissance bulgare. Et il est urgent. Car, faute d'engagement européen, la frustration bulgare risque de se définir d'une façon négative: Contre les Tziganes, contre les Turcs, contre les Grecs. Une culture renouvelée bulgare devrait engager les minorités culturelles du pays dans un développement commun. Un soutien de nous autres Européens est indispensable pour lui donner un minimum de confiance en soi-même pour qu'elle s'engage sur un chemin pareil.
3. Les capacités économiques et stratégiques restées en friche
Les communications Nord-Sud sont dans un état encore plus désespérant. Depuis cent ans, les problèmes grec-bulgares onSon attachementt empêché qu'une liaison de Cavalla (sur la Mer Égée) via les Rhodopes, le centre de la vallée de Thrace, la traversée des monts Balkans dans la vallée du Danube et la Roumanie et la Mer Noire, ne se réalise. Des projets élaborés existent. Mais le financement se tarde.
La Bulgarie a tout pour devenir un grand carrefour des relations commerciales internationales. Son attachement à l'Union Européenne a éliminé toute une série d'entraves: Avec la Grèce, potentiellement avec la Turquie, avec la Roumanie, et, qui sait?, bientôt avec la Serbie et la Macédoine aussi. Sur le chemin, il existe une capacité agricole et industrielle sans égale.
Il serait important, je pense, à ne plus voir la Bulgarie seulement comme un problème de l'UE, mais aussi et surtout, comme un atout unique pour son développement et son renforcement sur son aile vulnérable de l'Est.
4. Comment profiter de l'élan européen bulgare?
Stratégiquement, il faut reconnaitre que c'est les USA qui ont compris mieux que Bruxelles ce qui est en jeu. Les Américains ont remplacé les Russes à Blagoevgrad, au sud de Sofia, pas loin des frontières grèque et turque, en y entretenant une base militaire gigantesque, héritée des Russes, et une université américaine. La force de l'UE est plutôt la force douce des financements et des relations culturelles. Comme la poétesse néerlandaise Henriette Roland Holst l'avait dit déjà il y a un siècle: "C'est les forces douces qui gagneront à la fin."
La Bulgarie a besoin de ces forces douces-là et elle peut se passer facilement des forces noires d'une illusion de domination mondiale. Elle a besoin de routes, de lignes TGV, d'une modernisation de son agriculture. Elle a besoin d'une identité reconnue, soutenue. C'est l'Europe, et uniquement elle, qui est capable de lui satisfaire sur ce plan. Cela demande une vision, et le courage de prendre des risques. Il faut des partenaires dans le pays. C'est le moment.
Même si l'on se méfie de certaines tendances populistes du nouveau parti dominant, il vaut la peine d'encourager les éléments qui veulent assainir la société civile bulgare.
Moi, je crois qu'il y a des opportunités. Il faut se méfier, certainement, d'une classe politique pourrie. Mais en organisant des partenariats sur des projets concrets, à la base, dans les villes et dans les villages, en formant une nouvelle génération de gérants et en envoyant des experts sur place, c'est les "forces douces" qui gagneront.