Pierre Bafunta, animateur de quartier aux Minguettes, Vénissieux, France. (Photo: Karim Ben Khelifa, Paris)
"Nous étions les fusibles pour éviter le court-circuit"dit Pierre Bafunta (33, d'origine congolaise), animateur de quartier à Vénissieux, au journal hollandais "NRC", en mars dernier. Le journaliste Gert van Langendonck a vécu pendant deux mois aux Minguettes, dans un appartement spacieux, c'est vrai, mais avec les ordures devant la porte et en ayant la trouille à sortir après la tombée de la nuit.Bafunta: "Les animateurs de quartier [streetcornerworkers, selon le terme anglais: agents des coins de rue] sont apparus jadis comme une solution-miracle: On organise des loisirs pour les adolescents, on cherche un boulot pour les plus âgés. Mais ce système s'est épuisé. Et j'en suis encore toujours l'esclave. Je ne suis pas le seul: il y a un va-et-vient énorme dans ce secteur. L'animateur de quartier, c'est fini!" "Ce qu'on attend de nous, c'est qu'on joue les gardiens de la récré, pour qu'ils ne fassent pas de problèmes. On a été abusés."Au centre de jeunesse des Minguettes, il n'y a en effet que 150 des 2.500 jeunes du quartier qui le fréquentent.
"Ce qui couve dans la Banlieue": Couverture du magazine mensuel de NRC-Handelsblad, Pays-Bas, avril 2006.
Et à part cela, il y a dans l'article du prestigieux journal, la parade des exceptions qui soulignent le règle: l'avocate musulmane, sa soeur qui choisit d'être membre de la "ghetto super classe" et qui refuse à déménager à Lyon même, le salafiste plombier des salles de bain, etc.Après novembre, la France et l'Europe ont oublié vite (encore une fois) les émeutes des cités. D'autres actualités bien plus passionnantes, comme l'espionnage sur Sarkozy par De Villepin, demandent l'attention.
Moi, je ne crois pas que Bafunta ait raison: Une animation créatrice, artistique, munie d'outils vraiment relevants pourrait toujours fonctionner, pourvu qu'elle s'insère dans un effort intégré sur la sécurité, l'école, les vieux, l'habitat, le travail, etc. Mais Sarkozy se fie à un concept abstrait de filtrage de l'immigration selon des critères économiques.
Après les promesses de fin novembre, les habitants se sentiront encore une fois abandonnés. Certes, il y a la tendance à se considérer trop vite comme "victime", justification à ne rien faire.
Le cumul des abandons, des déceptions, des projets trop vite interrompus, crée une ambiance, où les extrémistes à idées fumeuses comme les Salafistes, n'auront qu'à moissonner.
Ce n'est pas un problème franco-français - En 2006, cela devient un problème européen.
Si la Commission européenne a fourni quelques milliards d'euros, elle n'a rien proposé, et encore moins imposé, concernant la façon à dépenser cet argent. C'est une faute. Une erreur évitable.
Tout le monde se réjouit de l'"acquis urbain", résultat de 10 ans d'investissements dans la politique urbaine en Europe. C'est une réjouissance abstraite, vide. La première occasion, où il importait à appliquer cet "acquis urbain", on l'a oublié.
Les fusibles comme Bafunta sautent les plombs dans un refus stérile.
Ensemble, les fusibles-animateurs pourraient proposer, exiger, lutter pour, une approche différente, dont des éléments ont été montrés à Marseille, mais aussi ailleurs.
C'est pourquoi nous avons créé e-urban, plateforme des professionnels de l'urbain en Europe.
Le cercle vicieux des fusibles éjectables, de projets abandonnés quasi avant de commencer, doit être brisé.
Il ne faut pas avoir peur des autorités proches de tutelle. Alliances à un niveau supérieur que ça, sont possibles.